samedi 10 décembre 2011

L’héritier Hersant n'a pas réussi à se faire un prénom

Nicolas Beau - Marianne | Samedi 10 Décembre 2011 à 16:01 | Lu 3683 fois

Dur, dur d'être « fils de...» et ce n'est pas donné à tout le monde. Formé par un père distant et autoritaire, le pâle Philippe Hersant ne saura guère s’imposer dans un monde où papa règne sur un empire médiatique.



Lors d’une des rares interviews que Robert Hersant ait accordée de son vivant, « le Papivore », qui régna pendant un quart de siècle sur une grande partie de la presse écrite, aura ce mot cruel : « Quant à ma succession, s’il y en a une, les solutions se trouveront d’elles-mêmes. Je ne me sens pas responsable, au-delà de ma propre capacité à exercer mon autorité. »

Brutal, le testament était prémonitoire. Le fils aîné de Robert, Jacques, brillant et convivial, disparaît prématurément en 1992. Le second, Michel, dit « Mick », s’intéresse plus au golf qu’à la presse. Le troisième, Philippe, sera l’héritier par défaut. « RH » aurait même confié à une proche : « J’ai tout réussi dans ma vie, mais je n’ai pas été totalement victorieux dans ma famille. Le reste n’a pas d’importance » (1).

Formé par un père distant et autoritaire, le pâle Philippe ne saura guère s’imposer. « Je vous envoie mon fils », disait Robert. Le présumé successeur se formera, sur le tas, dans les principaux journaux du groupe. Il apparaît figé, comme tétanisé par l’ombre du paternel.

Au sein de ce groupe extrêmement cloisonné, les grands féodaux, tout à leurs luttes intestines, ne lui laissent guère d’espace. Christian Grimaldi, un Corse sec et têtu, seul à connaître les arcanes financiers du groupe ; Yves de Chaisemartin, dit « Chaise », l’exécuteur testamentaire (et actionnaire de Marianne) ; Philippe Villin, un inspecteur des finances brillant, mais pisse-froid ; en charge du Figaro ; Cyril Duval, qui dirige Publi-Print, 2,5 milliards de francs à l’époque pour les seuls suppléments du Figaro ; et enfin Jean Miot, l’interlocuteur du syndicat CGT du livre et grand amateur de charcutaille lyonnaise.
 
Après la disparition de Robert Hersant en 1996, Serge Dassault a dû verser un joli pactole pour racheter la Socpresse (Le Figaro, France Soir, Le Progrès et quelques autres). Soit probablement 1,3 milliard d’euros, qu’encaissa le clan Hersant. Restent, pour Philippe, quelques miettes de l’empire ainsi qu’un gros paquet d’argent, que cet exilé fiscal a mis à l’abri à Genève. Mais, même cet héritage de presse passé à la lessiveuse, Philippe Hersant n’a pas su le préserver.

C’est le 2 décembre dernier à Bercy, face à des banquiers furieux, qu’ont été soldés les derniers débris du groupe patiemment constitué par Robert Hersant. Longtemps convoité par « RH », le groupe belge Rossel, propriétaire notamment du Soirà Bruxelles, prend donc une jolie revanche et obtient tout ou partie du capital de quelques beaux fleurons de la presse régionale, propriété de GHM (Groupe Hersant Médias) (2).
 
Un groupe de Bruxelles débarquant à Nice, à Marseille et jusqu’en Corse, voila une histoire belge qui pourrait bien signer la deuxième mort de Robert Hersant.

Et encore le troc, négocié entre GMH et Rossel, a été obtenu à l’arraché. Pour sauver les meubles, le fils du Papivore, plombé par une dette de 215 millions d’euros, a dû faire, cet été, le siège de Nicolas Sarkozy, histoire d’obtenir des banques la renonciation à 100 millions, et ramener peut-être à seulement 40 ou 50 millions d’euros sa dette. Pour mieux faire passer la pilule à l’Elysée, Philippe Hersant convoquait, fin août, les patrons des rédactions de plusieurs journaux. Et il leur recommandait de ne pas se montrer critiques avec l’Elysée. Seul résiste Jacques Tillier, le directeur du pôle CAP du groupe (l’Union-l’Ardennaiset l’Est éclair) à Troyes, dont François Baroin, patron de Bercy et ami de Philippe Hersant, est le maire.
 
Un exilé fiscal mendiant l’argent de l’Etat ! On est loin de l’époque glorieuse où Robert Hersant bénéficiait d’une place d’honneur le jour du mariage de la fille de Jacques et Bernadette Chirac, Claude. Où « RH » comptait dans sa rédaction jusqu’à 13 députés, anciens ministres ou autres éminences. Où enfin, il convoyait dans un Boeing ses principaux annonceurs vers le yacht qu’il possédait aux Caraïbes.

Triste bilan qui ressemble fort à une dilapidation d’héritage. Comment en est-on arrivé là ? Il faudra attendre 2007, onze ans après la disparition de Robert, pour assister à la seule action d’éclat que Philippe Hersant peut revendiquer : le rachat à Lagardère pour 160 millions d’euros de plusieurs grands journaux du sud de la France, dont Nice-Matinet la Provence. Cet investissement est possible grâce aux profits dégagés par les petites annonces gratuites d’une des filiales, la Comareg. Le Groupe Hersant Medias (GHM) était encore prospère, les financiers se pressaient à sa porte. Résultat, l’endettement finança cette grosse acquisition, une bonne vieille recette que le fiston avait apprise de son père.
 
Hélas, le tsunami du Net balaie les petites annonces papier, sans que les équipes de Philippe Hersant anticipent le virage. La Comareg s’effondre lentement, mais sûrement. Le 2 novembre dernier, Philippe Hersant vient de laisser sur le tapis les 1 500 salariés des gratuits de la Comareg, qui s’ajoutent à autant de départs depuis quinze mois. Soit le plus gros plan social de ces dernières années. Avec, à la clé, quelque 150 millions d’euros d’indemnités à la charge de l’Etat.

Que reste-t-il, quinze ans après la mort du patriarche, des amours de Robert Hersant et de la presse écrite ? La petite cagnotte de France-Antilles, constituée dès 1981 par le fondateur du groupe, lorsque la gauche arrive au pouvoir, peut arrondir les fins de mois des héritiers. Les titres outre-mer (Guyane, Guadeloupe, Martinique) sont en effet des rentes de situation. Pour ne pas mourir d’ennui à Genève, où il réside, en assistant aux concours hippiques de son épouse, ce Philippe Hersant a investi dans quelques modestes titres helvètes affaiblis par des successions difficiles : le journal vaudois la Côteà Nyon, deux quotidiens dans le canton de Neuchâtel, l’Expresset l’Impartialet enfin le Nouvellisteà Sion – soit tout de même 100 millions de francs suisses de chiffre d’affaires et 10 % de rentabilité. Un empire, si l’on peut dire… à la taille d’un canton suisse.

(1) Cette citation provient d’une enquête du Nouvel Economiste, 18 août 1995
(2) Rossel acquiert la totalité de l’Union-l’Ardennais, l’Aisne nouvelle, l’Est éclair.Et prend 50 % de Nice-Matin, Var-Matin, Corse-Matin, la Provence.

Un superbe golf, vestige du passé

Ultime humiliation, les banques créancières ont exigé que Philippe Hersant rembourse les 14 millions d’euros d’avances consenties par GHM au superbe golf d’Ivry-la-Bataille en Normandie, à deux pas de la maison familiale (dont 3,5 millions pour le seul club houseen 2008). Cerné de séquoias immenses, d’espèces rares et d’étangs peuplés de cygnes, le parc était photographié à la belle époque dans l’ancien journal du groupe, l’Ami des jardins.
De tels investissements golfiques ne sont pas une nécessité absolue pour un groupe de presse qui perd de l’argent. Mais quel affront tout de même à la mémoire du grand Robert ! Personne n’aurait osé lui demander des comptes sur son cher terrain de golf, la seule passion qu’on lui connaissait avec la presse et… ses enfants.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire