La justice enquête sur
les mécomptes du groupe Hersant
les mécomptes du groupe Hersant
Une enquête parlementaire sera aussi ouverte sur le rachat des journaux
du Sud du groupe Hersant Médias par Bernard Tapie. | AFP/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT |
Les policiers sont saisis de présomptions d'"abus de biens sociaux", au préjudice des sociétés du groupe Hersant Média (GHM). Ils vont notamment enquêter sur les flux financiers suspects entre le groupe de presse, au bord de la liquidation fin 2012, avant sa reprise, et le prestigieux golf Robert-Hersant de Nantilly (Eure-et-Loir).
L'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE
En parallèle, une commission d'enquête parlementaire devrait voir le jour dans quelques semaines, afin de tirer
au clair les conditions de la reprise définitive du groupe de presse
par M. Tapie et les héritiers Hersant, actée le 14 janvier par le
tribunal de commerce de Paris. Le député socialiste des Bouches-du-Rhône
Patrick Mennucci, candidat déclaré à la mairie de Marseille, vient de terminer son projet de résolution en ce sens, document dont Le Monde a eu copie.
Les policiers agissent quant à eux à la suite d'un signalement du ministère du redressement productif, dirigé par Arnaud Montebourg, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale. Celui-ci prévoit que toute autorité constituée, tout officier
public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert
la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.
En l'occurrence, c'est le comité interministériel de restructuration
industrielle (CIRI), qui a indiqué à M. Montebourg l'existence
d'éventuels abus de biens sociaux au sein de GHM, alors en pleine
déconfiture financière.
M. Montebourg a donc signé dès le mois de décembre 2012 un
signalement sur la base de l'article 40, mettant en cause auprès du
procureur de Paris la gestion de GHM par les héritiers de l'ancien
magnat de la presse, Robert Hersant. "J'ai saisi la justice, a confirmé M. Montebourg au Monde, car nous avions là un groupe dirigé par un exilé fiscal, M. Philippe Hersant, dont la gestion était jugée contestable. Nous avons fait notre travail."
14 MILLIONS D'EUROS DANS LE GOLF ROBERT-HERSANT
Les policiers vont notamment s'attacher à retracer les flux financiers, de l'ordre de 14 millions d'euros selon le CIRI, qui auraient permis d'abonder
les comptes de la SCI Golf de Nantilly. Le superbe club house du golf,
et les installations sportives, plusieurs dizaines d'hectares plantés
d'essences rares appartenant à la famille
Hersant, auraient ainsi bénéficié d'aménagements somptuaires, alors que
les journaux étaient sur le point de disparaître, en 2012, et que la
Comareg, éditrice notamment de Paru-Vendu, liquidée en 2011, avait
laissé 1650 salariés sur le carreau.
Sollicité par Le Monde, Me David de Pariente, le conseil de la famille Hersant, a indiqué que "le golf, public, a toujours fait partie du groupe Hersant. Il a ensuite été racheté par Eric Hersant
[l'un des petits-fils de Robert Hersant], et sorti de GHM à la demande
des banques créancières, qui ont également obtenu le remboursement des
flux financiers consentis en sa faveur. Il n'y a aucune illégalité dans
l'affaire".
Cette enquête préliminaire, gérée par le parquet, ne devrait pas empêcher la création d'une commission, voulue par le député Patrick Mennucci.
En effet, seule l'ouverture d'une information judiciaire, confiée à un
juge d'instruction, obligerait, selon les textes en vigueur, le pouvoir législatif à cesser ses travaux. M. Mennucci va donc soumettre
au vote de l'Assemblée nationale le principe, déjà arrêté par le groupe
socialiste, de la création d'une commission d'enquête parlementaire,
qualifiée par avance de "tartufferie" par Bernard Tapie, le 16 janvier.
"UN FAVORITISME OUTRANCIER ?"
"La commission d'enquête devra vérifier si la liberté du commerce
n'a pas été malmenée par un favoritisme outrancier à l'égard des
acquéreurs seuls en capacité de connaître pleinement le dossier, précise le projet de résolution du parlementaire. Des accords secrets ont-ils été conclus par le tandem Tapie-groupe Hersant
Média avec d'autres concurrents pour qu'à terme ces derniers
bénéficient d'une vente préférentielle lors du démantèlement du groupe ?
Enfin, la présente commission s'interrogera également sur l'origine des
sommes investies par Bernard Tapie."
Une dernière phrase lourde de sous-entendus, puisqu'elle vise en fait
la procédure d'arbitrage, aujourd'hui contestée, qui a permis à M.
Tapie d'obtenir
en 2008 403 millions d'euros, dans le cadre du conflit lié au passif du
Crédit lyonnais. Deux enquêtes judiciaires distinctes, l'une devant la
Cour de justice de la République, l'autre devant des juges de droit
commun, sont ouvertes pour, notamment, "détournements de fonds publics, faux, recel et complicité de ces délits".
Désormais donc, outre l'origine de sa fortune, les circonstances dans
lesquelles M. Tapie a pu acquérir GHM intéressent la justice. En effet,
17 banques créancières ont abandonné 165 millions d'euros dans la
reprise du groupe par un tandem composé de trois héritiers de Robert
Hersant et de l'homme d'affaires Bernard Tapie, deux parties associées à
parité. Les partenaires apportent un total de 51 millions d'euros dans
l'affaire, comprenant diverses garanties. Philippe Hersant, l'un des
fils de Robert Hersant, reste ainsi à la tête de son groupe, tout en
ayant effacé ses dettes.
UN TOUR DE PASSE-PASSE
Un tour de passe-passe qui a engendré un affrontement très médiatique, mais aussi politique, entre MM. Tapie et Montebourg. Le pouvoir socialiste, et notamment l'Elysée, très inquiet de voir l'homme d'affaires revenir troubler l'échiquier politique, en particulier à Marseille, a d'abord tenté de contrer l'offensive de M. Tapie, en suscitant plusieurs candidatures concurrentes.
De quoi déclencher la colère de l'ancien patron de l'OM, qui a assuré publiquement à plusieurs reprises n'avoir aucunement l'intention de conquérir la mairie de Marseille. Il a dénoncé une intervention politique, tenté de joindre M. Montebourg et même l'Elysée, en menaçant de publier un enregistrement audio censé prouver ses assertions. "C'est la mission même du CIRI que de trouver des solutions, les meilleures possibles pour redresser le groupe, assure M. Montebourg. D'ailleurs, M. Tapie a amélioré son offre après notre intervention. Nous gardons un œil sur cette affaire."
L'offre concurrentielle la plus aboutie a été menée par le groupe
belge Rossel, qui avait déjà repris plusieurs journaux du nord de la
France appartenant à GHM. Mais l'épisode de la Comareg, et l'éventualité
de voir quelques-uns des 1650 salariés licenciés se retourner sur le plan judiciaire contre le repreneur, aurait refroidi les ardeurs de Rossel. Du coup, M. Tapie, après avoir renoncé à se porter acquéreur, a déposé in extremis une nouvelle offre, en décembre 2012, lui permettant de l'emporter sur le fil.
Dans un communiqué publié le 14 janvier, jour de l'homologation par
le tribunal de commerce de Paris de l'accord de conciliation conclu le
19 décembre 2012 entre la famille Hersant et Bernard Tapie, GHM
affirmait que "le futur du groupe [était] désormais assuré" et qu'il allait "pouvoir engager les moyens nécessaires à la relance"
de ses titres. Le groupe assurait que la réalisation des opérations
bancaires et l'augmentation de capital seraient finalisées au plus tard
le 15 février 2013.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
LES SOUPÇONS PORTENT SUR LE GOLF FAMILIAL
Le golf de Nantilly était la dernière folie de Robert Hersant. En 1966, le "papivore" achète un terrain de 3000 m2
dans la vallée de l'Eure, à Ivry-la-Bataille, d'abord pour y bâtir une
maison. En 1991, il acquiert de nouveaux terrains dans le hameau voisin
de Nantilly. Son but est de transformer son golf en un parcours de 18
trous. Ce sont des flux financiers au bénéfice de cet établissement qui
sont aujourd'hui au cœur de l'enquête préliminaire ouverte par le
parquet de Paris.
Jusqu'à la fin de sa vie, Robert Hersant s'est consacré à
l'embellissement de la propriété, multipliant les projets, modifiant
sans cesse les maquettes du golf dans ses bureaux parisiens, comme le
racontent Elizabeth Coquart et Philippe Huet dans Le Monde selon Hersant
(Ramsay, 1997). Il veut en faire le plus beau golf d'Europe. Pour cela,
il dépense une fortune. Il choisit les matériaux les plus nobles, les
essences les plus rares. Il sélectionne lui-même chaque végétal, apporte
un soin particulier à marier les couleurs. Comme François Mitterrand,
Robert Hersant a une passion pour les arbres. Certains en plaisantent: "Le papivore est devenu herbivore..."
La maison d'Ivry-la-Bataille est aussi le lieu de réunion de la tribu
au grand complet. Robert Hersant, qui a été marié trois fois, y
rassemble pour la nouvelle année épouse et ex-épouses, enfants de son
premier et de son deuxième mariage, ainsi que les filles de sa dernière
femme, qu'il a adoptées.
Xavier Ternisien