mardi 5 février 2013

Mardi 05 Février 2013 - Le Monde.fr - La justice enquête sur les mécomptes du groupe Hersant





La justice enquête sur
les mécomptes du groupe Hersant
Une enquête parlementaire sera aussi ouverte sur le rachat des journaux du Sud du groupe Hersant Médias par Bernard Tapie.
Une enquête parlementaire sera aussi ouverte sur le rachat des journaux du Sud du groupe Hersant Médias
par Bernard Tapie. | AFP/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT
Le groupe Hersant Média (GHM), comptant plus de 3000 collaborateurs, repris au mois de janvier par l'homme d'affaires Bernard Tapie et les héritiers Hersant, est désormais sous le coup de deux enquêtes distinctes. La justice a en effet décidé de s'intéresser de près à la gestion de GHM, propriétaire de plusieurs journaux en France : Nice-Matin, La Provence, sans compter diverses publications outre-mer comme France-Antilles. Le parquet de Paris vient de confier une enquête préliminaire à la brigade financière.



Les policiers sont saisis de présomptions d'"abus de biens sociaux", au préjudice des sociétés du groupe Hersant Média (GHM). Ils vont notamment enquêter sur les flux financiers suspects entre le groupe de presse, au bord de la liquidation fin 2012, avant sa reprise, et le prestigieux golf Robert-Hersant de Nantilly (Eure-et-Loir).

L'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE

En parallèle, une commission d'enquête parlementaire devrait voir le jour dans quelques semaines, afin de tirer au clair les conditions de la reprise définitive du groupe de presse par M. Tapie et les héritiers Hersant, actée le 14 janvier par le tribunal de commerce de Paris. Le député socialiste des Bouches-du-Rhône Patrick Mennucci, candidat déclaré à la mairie de Marseille, vient de terminer son projet de résolution en ce sens, document dont Le Monde a eu copie.
Les policiers agissent quant à eux à la suite d'un signalement du ministère du redressement productif, dirigé par Arnaud Montebourg, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale. Celui-ci prévoit que toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.
En l'occurrence, c'est le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), qui a indiqué à M. Montebourg l'existence d'éventuels abus de biens sociaux au sein de GHM, alors en pleine déconfiture financière.
M. Montebourg a donc signé dès le mois de décembre 2012 un signalement sur la base de l'article 40, mettant en cause auprès du procureur de Paris la gestion de GHM par les héritiers de l'ancien magnat de la presse, Robert Hersant. "J'ai saisi la justice, a confirmé M. Montebourg au Monde, car nous avions là un groupe dirigé par un exilé fiscal, M. Philippe Hersant, dont la gestion était jugée contestable. Nous avons fait notre travail."

14 MILLIONS D'EUROS DANS LE GOLF ROBERT-HERSANT

Les policiers vont notamment s'attacher à retracer les flux financiers, de l'ordre de 14 millions d'euros selon le CIRI, qui auraient permis d'abonder les comptes de la SCI Golf de Nantilly. Le superbe club house du golf, et les installations sportives, plusieurs dizaines d'hectares plantés d'essences rares appartenant à la famille Hersant, auraient ainsi bénéficié d'aménagements somptuaires, alors que les journaux étaient sur le point de disparaître, en 2012, et que la Comareg, éditrice notamment de Paru-Vendu, liquidée en 2011, avait laissé 1650 salariés sur le carreau.
Sollicité par Le Monde, Me David de Pariente, le conseil de la famille Hersant, a indiqué que "le golf, public, a toujours fait partie du groupe Hersant. Il a ensuite été racheté par Eric Hersant [l'un des petits-fils de Robert Hersant], et sorti de GHM à la demande des banques créancières, qui ont également obtenu le remboursement des flux financiers consentis en sa faveur. Il n'y a aucune illégalité dans l'affaire".
Cette enquête préliminaire, gérée par le parquet, ne devrait pas empêcher la création d'une commission, voulue par le député Patrick Mennucci. En effet, seule l'ouverture d'une information judiciaire, confiée à un juge d'instruction, obligerait, selon les textes en vigueur, le pouvoir législatif à cesser ses travaux. M. Mennucci va donc soumettre au vote de l'Assemblée nationale le principe, déjà arrêté par le groupe socialiste, de la création d'une commission d'enquête parlementaire, qualifiée par avance de "tartufferie" par Bernard Tapie, le 16 janvier.

"UN FAVORITISME OUTRANCIER ?"

"La commission d'enquête devra vérifier si la liberté du commerce n'a pas été malmenée par un favoritisme outrancier à l'égard des acquéreurs seuls en capacité de connaître pleinement le dossier, précise le projet de résolution du parlementaire. Des accords secrets ont-ils été conclus par le tandem Tapie-groupe Hersant Média avec d'autres concurrents pour qu'à terme ces derniers bénéficient d'une vente préférentielle lors du démantèlement du groupe ? Enfin, la présente commission s'interrogera également sur l'origine des sommes investies par Bernard Tapie."
Une dernière phrase lourde de sous-entendus, puisqu'elle vise en fait la procédure d'arbitrage, aujourd'hui contestée, qui a permis à M. Tapie d'obtenir en 2008 403 millions d'euros, dans le cadre du conflit lié au passif du Crédit lyonnais. Deux enquêtes judiciaires distinctes, l'une devant la Cour de justice de la République, l'autre devant des juges de droit commun, sont ouvertes pour, notamment, "détournements de fonds publics, faux, recel et complicité de ces délits".
Désormais donc, outre l'origine de sa fortune, les circonstances dans lesquelles M. Tapie a pu acquérir GHM intéressent la justice. En effet, 17 banques créancières ont abandonné 165 millions d'euros dans la reprise du groupe par un tandem composé de trois héritiers de Robert Hersant et de l'homme d'affaires Bernard Tapie, deux parties associées à parité. Les partenaires apportent un total de 51 millions d'euros dans l'affaire, comprenant diverses garanties. Philippe Hersant, l'un des fils de Robert Hersant, reste ainsi à la tête de son groupe, tout en ayant effacé ses dettes.
UN TOUR DE PASSE-PASSE
Un tour de passe-passe qui a engendré un affrontement très médiatique, mais aussi politique, entre MM. Tapie et Montebourg. Le pouvoir socialiste, et notamment l'Elysée, très inquiet de voir l'homme d'affaires revenir troubler l'échiquier politique, en particulier à Marseille, a d'abord tenté de contrer l'offensive de M. Tapie, en suscitant plusieurs candidatures concurrentes.
De quoi déclencher la colère de l'ancien patron de l'OM, qui a assuré publiquement à plusieurs reprises n'avoir aucunement l'intention de conquérir la mairie de Marseille. Il a dénoncé une intervention politique, tenté de joindre M. Montebourg et même l'Elysée, en menaçant de publier un enregistrement audio censé prouver ses assertions. "C'est la mission même du CIRI que de trouver des solutions, les meilleures possibles pour redresser le groupe, assure M. Montebourg. D'ailleurs, M. Tapie a amélioré son offre après notre intervention. Nous gardons un œil sur cette affaire."
L'offre concurrentielle la plus aboutie a été menée par le groupe belge Rossel, qui avait déjà repris plusieurs journaux du nord de la France appartenant à GHM. Mais l'épisode de la Comareg, et l'éventualité de voir quelques-uns des 1650 salariés licenciés se retourner sur le plan judiciaire contre le repreneur, aurait refroidi les ardeurs de Rossel. Du coup, M. Tapie, après avoir renoncé à se porter acquéreur, a déposé in extremis une nouvelle offre, en décembre 2012, lui permettant de l'emporter sur le fil.
Dans un communiqué publié le 14 janvier, jour de l'homologation par le tribunal de commerce de Paris de l'accord de conciliation conclu le 19 décembre 2012 entre la famille Hersant et Bernard Tapie, GHM affirmait que "le futur du groupe [était] désormais assuré" et qu'il allait "pouvoir engager les moyens nécessaires à la relance" de ses titres. Le groupe assurait que la réalisation des opérations bancaires et l'augmentation de capital seraient finalisées au plus tard le 15 février 2013.

LES SOUPÇONS PORTENT SUR LE GOLF FAMILIAL

Le golf de Nantilly était la dernière folie de Robert Hersant. En 1966, le "papivore" achète un terrain de 3000 m2 dans la vallée de l'Eure, à Ivry-la-Bataille, d'abord pour y bâtir une maison. En 1991, il acquiert de nouveaux terrains dans le hameau voisin de Nantilly. Son but est de transformer son golf en un parcours de 18 trous. Ce sont des flux financiers au bénéfice de cet établissement qui sont aujourd'hui au cœur de l'enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris.
Jusqu'à la fin de sa vie, Robert Hersant s'est consacré à l'embellissement de la propriété, multipliant les projets, modifiant sans cesse les maquettes du golf dans ses bureaux parisiens, comme le racontent Elizabeth Coquart et Philippe Huet dans Le Monde selon Hersant (Ramsay, 1997). Il veut en faire le plus beau golf d'Europe. Pour cela, il dépense une fortune. Il choisit les matériaux les plus nobles, les essences les plus rares. Il sélectionne lui-même chaque végétal, apporte un soin particulier à marier les couleurs. Comme François Mitterrand, Robert Hersant a une passion pour les arbres. Certains en plaisantent: "Le papivore est devenu herbivore..."
La maison d'Ivry-la-Bataille est aussi le lieu de réunion de la tribu au grand complet. Robert Hersant, qui a été marié trois fois, y rassemble pour la nouvelle année épouse et ex-épouses, enfants de son premier et de son deuxième mariage, ainsi que les filles de sa dernière femme, qu'il a adoptées.
Xavier Ternisien

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