Les salariés d’Hersant n’iront pas tous au paradis (fiscal)
Le
plus grand plan social depuis deux ans. 1650 salariés licenciés. Voilà
l’exploit que vient de réaliser Philippe Hersant, le patron et
actionnaire du Groupe Hersant Média (GHM), suite à la liquidation hier
après-midi à Lyon de la Comareg, sa filiale de presse d’annonces, qui
édite notamment le gratuit Paru-Vendu.
Une information dont vous
n’entendrez sans doute pas vraiment beaucoup parler dans La Provence,
dont l’actionnaire est également GHM, même si plusieurs dizaines de
salariés de Paru-Vendu basés à Marseille sont également concernés. Et
une annonce faite quelques jours du projet de regroupement de La Provence et de Nice Matin avec le groupe belge Rossel,
l’éditeur en France de La Voix du Nord. Un scénario à la grecque pour
GHM. Et qui pourrait avoir des incidences sur ce futur deal « belge ».
Retour sur une descente aux enfers.
2003, 2008 : la belle affaire
On
s’en souvient : fin 2007, Philippe Hersant fait une belle opération en
rachetant La Provence et Nice Matin au groupe Lagardère pour 160
millions d’euros. Au nez et à la barbe de plusieurs autres acheteurs
dont le fonds d’investissement anglais Mecom, spécialisée dans la presse
locale. Un beau coup. A l’époque, comme le rappelait récemment la
Lettre A, tous les grands banquiers de la place faisaient la queue rue
de Presbourg à Paris, au siège de GHM pour financer cette acquisition.
« La fine fleur de la finance était alors impressionnée par le magnifique cash-flow de la Comareg« .
Ce leader de la presse gratuite en France avait été racheté en 2003 par
France-Antilles, comme s’appelait alors le Groupe Hersant Média. La
Comareg (« Communication pour les Marchés Régionaux ») est une véritable
success-story française. C’est Paul Dini, un jeune HEC stéphanois qui
invente ce concept de journal hebdomadaire d’annonces gratuites en 1968,
en lançant le premier numéro dans la ville de Grenoble, le « 38″.
Le
succès est rapide, les villes s’ouvrent les unes après les autres , le
74 à Annecy, le 69 à Lyon… Un empire de la presse gratuite se crée en
quelques années. Après l’avoir introduit en Bourse, Paul Dini la cèdera
en 1988 au groupe Havas, que son actionnaire Vivendi vendra rapidement à
la Socpresse, pour terminer dans l’escarcelle de Philippe Hersant qui
l’achètera en 2003, pour 120 millions d’euros. A l’époque une très, très
belle affaire là aussi.
Les héritiers du Papivore
Premier
beau deal pour celui qui à l’époque n’est qu’ »un fils de ». Son père
Robert Hersant, surnommé le « Papivore », a régné pendant des années sur
la presse française, nationale et locale. Le Figaro, l’Aurore,
France-Soir, le Dauphiné Libéré… tout ça c’est RH. A sa mort
ses nombreux héritiers, nés de trois mariages différents, récupèrent
l’empire, mais aussi les dettes qui vont avec. Car RH, a toujours eu le
carnet de chèque facile, malgré des journaux souvent déficitaires. Ses
banquiers, compte-tenu de sa très forte influence politique – il fût
longtemps député – n’osaient pas vraiment lui refuser grand chose.
La plus importante filiale, la Socpresse qui édite entre autres le Figaro, le Dauphiné Libéré, Presse Océan est cédée à Serge Dassault
pour payer les droits de succession et les enfants du Papivore
conservent de leur côté France-Antilles, une autre branche de l’empire
qui possède des journaux dans l’outre-mer comme La Dépêche de Tahiti, le
Journal de l’Ile de la Réunion, ou France-Antilles Martinique et
Guadeloupe, qui a donné son nom au groupe. Mais aussi des actifs dans la
presse quotidienne régionale en métropole : L’Union de Reims,
Paris-Normandie et l’Est Eclair.
Plus belle la vie
France-Antilles,
détenu donc par les héritiers de RH qui placent à sa tête leur cousin,
l’énigmatique Philippe Hersant. Un drôle de patron de presse qui fuit
les journalistes, semble être d’une timidité maladive, et qui vit
planqué dans une très belle propriété au bord du Lac Léman, car son goût
immodéré pour la discrétion et pour les chocolats l’a poussé à devenir résident Suisse en 2003. Il a en a profité pour faire un peu de shopping et se constituer sans ses cousins un sympathique petit groupe de presse « Editions Suisse Holdings ».
En
ce début d’année 2008, tout va donc très bien pour Philippe Hersant :
il est en train de se construire un beau groupe de presse régionale,
avec la prise de La Provence et de Nice Matin, il investit dans les
télévisons locales, à Grenoble, à Nîmes, mais aussi à Marseille où le
quotidien de l’avenue Salengro détient 17 % de LCM, rachetés aussi au
groupe Lagardère.
La Comareg continue elle de faire remonter
beaucoup de cash à la holding GHM. C’est l’Istréen Michel Moulin, qui
après avoir revendu son groupe de presse gratuite Paru-Vendu à Philippe
Hersant prend la tête de la Comareg. Cet ancien joueur de foot, qui rêve
de racheter l’OM – et est aujourd’hui patron du 10 Sport – est un
commercial né. Bonne pioche là aussi pour Hersant. Il ne publie pas ses
chiffres, mais son groupe n’est pas très loin du milliard de chiffre
d’affaires en 2007. La vie est belle.
Le feu au Lac
Pas
pour longtemps, car le feu commence à couver de l’autre côté du Lac.
Réfugié dans son exil suisse, accroché à ses cash-flow, Hersant ne
s’aperçoit pas que sa vache à lait est malade, attaquée par les nouveaux
acteurs de l’Internet. En quelques mois, Le Bon Coin, Seloger.com, vont
récupérer le business des petites annonces. Elles sont publiées
gratuitement, alors qu’elles restent payantes dans Paru-Vendu et le web
permet une rapidité de diffusion et une audience bien supérieures à
celles du papier.
La crise n’arrange pas les choses qui plombent
aussi ses quotidiens régionaux. Les patrons giclent. Dans la holding
Frédéric Aurand, le président du directoire, est remplacé par Dominique
Bernard. Les PDG de Nice Matin et de La Provence sont aussi remerciés.
Michel Moulin quitte la Comareg, où les plans sociaux se succèdent. De
3000 salariés en 2008, ils ne sont plus que 1650 en 2011. Mais les
pertes s’accumulent et les banquiers s’agitent, Hersant risquant de ne
pas pouvoir rembourser sa dette de près de 250M€.
Il faut vendre
rapidement des actifs pour faire rentrer du cash. Le Journal de l’ïle de
la Réunion est cédé. Puis Médiapost, une filiale de la Comareg, les
télés locales et une participation dans le Républicain Lorrain. Mais ce
n’est évidemment pas suffisant face aux 20M€ de perte d’exploitation de
la Comareg en 2009. La vache à lait est devenue un boulet, qui risque
d’entrainer GHM vers le fond. En ce début de l’été 2011 le groupe est au
bord de l’agonie. Les banquiers, dont ceux de BNP et de Natixis sont de
plus en plus nerveux.
Un trait sur la dette
Philippe Hersant va alors vite se réfugier chez les énarques de Bercy, au ministère de l’Economie et des Finances, au CIRI
(comité interministériel de restructuration industrielle), qui a pour
mission d’essayer de sauver du naufrage les entreprises en grande
difficulté de plus de 400 salariés. Son plan est le suivant : apporter
ses actifs « sains », c’est à dire La Provence, Nice Matin et l’Union de
Reims à une société commune avec le belge Rossel, qui apporterait lui
les 65% qu’il détient dans la Voix du Nord. Et créer ainsi le 3e groupe
français de presse régionale, détenu à 50/50 avec les Belges mais dont
le management serait confié à ces derniers. Le problème est que Rossel
ne veut pas récupérer les dettes de GHM dans la corbeille de la mariée.
Philippe
Hersant demande donc au Ciri de faire pression sur ses banquiers afin
qu’ils acceptent d’abandonner 100M€ de dette, soit à peu près la moitié.
C’est ça ou le chaos. Le fameux scénario à la grecque. Et forcément il
fait beaucoup tousser. Sachant qu’ il va y avoir de la casse sociale. Et
de la grosse. Car chacun sait que la Comareg va mourir, puisqu’aucun
repreneur sérieux ne s’est manifesté. Et comme Hersant ne veut plus
renflouer sa filiale de presse gratuite, la liquidation est inévitable,
et c’est l’Etat qui risque de devoir en partie supporter les coûts liés à
la fermeture.
Le patron de Bercy François Baroin a beau être le
maire de Troyes, siège de l’Est Eclair, un des quotidiens de GHM,
beaucoup à Bercy commencent à trouver l’addition un peu lourde à avaler.
Surtout quand elle est présentée par un résident fiscal suisse. Car le
scandale n’est pas loin. On ne peut sans doute pas reprocher à Philippe
Hersant de n’avoir pas réussi à sauver la Comareg. Les autres groupes de
presse gratuite en France ont eu les mêmes difficultés. S3G, filiale du
groupe Sud-Ouest, a déposé son bilan l’an dernier. Spir – le concurrent
bâti par Claude Léoni, un entrepreneur de la région (son siège est
toujours aux Milles), et aujourd’hui propriété de Ouest-France – s’est
pour l’instant tiré d’affaire grâce à la vente de sa participation pour
200M€ qu’il détenait dans leboncoin.fr, et grâce à 20 minutes, dont le
groupe Aixois possède 50%
Philippe qui pleure, Hersant qui rit
En
revanche à l’heure où 1650 salariés vont être mis au chômage, pas mal
de gens – à Paris, à Bercy et au siège de plusieurs banques, ainsi qu’à
Lyon au tribunal de Commerce qui va suivre la liquidation de la Comareg
trouvent anormal que Philippe Hersant ne mette pas aussi la main à la
poche à titre personnel. Patron, il a toujours bénéficié en France d’une
partie du milliard d’euros annuels « d’aides à la presse », grâce aux
impôts des contribuables français, mais il préfère à titre personnel la
douceur de la fiscalité helvétique et gérer son petit groupe de presse
suisse qui lui avec près de 90 millions de francs suisse de chiffre
d’affaires se porte comme une Edelweis au printemps.
Et pendant que Hersant pleure à Bercy,
les patrons de ses journaux suisses, comme L’Impartial, La Côte où le
Nouvelliste, font le tour du Lac Léman pour expliquer que les deux
dossiers sont étanches, comme le déclarait l’an dernier Jacques Richard
l’administrateur délégué de Editions Suisse Holdings au journal Le Temps
« ESH présente un chiffre d’affaires consolidé de 93 millions
de francs. Et nous avons un cash-flow plus que correct. Je pense qu’il
se situe dans le trio ou le quintette de tête du secteur de la presse.
Je vous assure qu’il n’y a pas de vase communicant avec GHM.» Les 1650 nouveaux chômeurs de la Comareg apprécieront.
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