Le mensuel d´enquête et de satire en Provence-Alpes-Côte d´Azur
Moi, Philippe Hersant, le papiphobe
le 1er/06/2012
En
exclusivité (1),
le Ravi
publie les confessions de Philippe Hersant, patron du groupe de
presse qui porte son nom, du futur-ex propriétaire de La
Provence, Var
Matin, Nice
matin et consorts,
qu’il s’apprête à céder en partie au
Belge Rossel. Le fils du « papivore »
est presqu’aussi discret que son père. Sauf que ce
dernier a une excuse :
il est mort !
Quelle
vulgarité, ces socialistes !
Prenez Guérini, le président du Conseil général
des Bouches-du-Rhône. Qu’il attaque La
Provence,
c’est son droit. Je le comprendrais presque :
qu’un articlier revienne d’une maison de retraite avec
autre chose que le portrait de la centenaire, on frise la faute
lourde. Mais qu’il réclame un million d’euros, là,
il pousse le bouchon un peu loin. Ce n’est parce que je suis
l’un des plus gros exilés fiscaux français en
Suisse (2)
qu’il faut me prendre pour une vache Milka !
Ce qui me rassure, c’est qu’il ait dit : « Il
va en manger, des frites, le Belge ! » (3)
En
clair, « c’est
pas moi, c’est l’autre »
(4). Ce n’est plus moi. C’est déjà l’autre.
L’autre, c’est Rossel, le groupe de presse belge à
qui je suis en train de refourguer La
Provence,
Nice Matin,
Var Matin...
Qui se ressemble s’assemble. Le patron de Rossel, Patrick
Hurbain, il est comme moi. Aussi primesautier qu’un
expert-comptable. Je le confesse :
« Les
situations professionnelles dans lesquelles je ris et souris sont
finalement relativement rares » (5).
Et puis, lui aussi, c’est un fils de…
Moi,
c’est Philippe Hersant. Le dernier fils du « papivore »,
Robert. « Accordez-moi
de la personnalité, de l’enthousiasme et de la passion avant
de penser que je ne suis que le produit d’un père patron de
presse »,
ais-je dû expliquer à ces gauchistes de L’Express (6).
Car de la personnalité, j’en ai !
Avec moi, par exemple, le papier, ça ne passe pas. Ce n’est
pas faute d’avoir essayé. Papa m’a fait goûter
à tout, de la rédaction à l’imprimerie.
Puis, après des débuts dans le centre de la France,
j’ai été propulsé, à l’âge
de 25 ans et mon teint de cachet d’aspirine, à la tête
de France Antilles.
A
l’époque, loi anti-concentration oblige, il avait fallu couper
l’empire en deux. Mais « quand
l’appétit va, tout va » (7).
Alors tout y est passé :
la presse, la télé, les gratuits. On a mangé,
mangé... On s’est gavé !
Au sens figuré. Je suis épais comme un sandwich SNCF.
Ça tombe bien. L’heure est à la cure
d’amaigrissement. Avec ma mine de croque-mort, je n’ai
aucun mal à faire passer le message essentiel. Papa avait
laissé un empire exsangue. Moi, après avoir tenté
d’en reconstruire un, je suis en train de le liquider.
« Les
situations professionnelles dans lesquelles je ris et souris sont
finalement relativement rares »
Il
faut dire que j’ai 200 millions d’euros de dettes. Et ça, le
Belge, il aime pas. Pourtant, papa avait été
administrateur chez Rossel. Ça crée des liens. Des
passifs, aussi :
en tant qu’actionnaire, on s’est fait sortir en 2005. Mais regardons
les choses en face. Les journaux du sud, Hurbain, il est comme moi :
il s’en cogne !
A la base, c’est avec le groupe Centre-France
qu’il voulait se rapprocher. Pour prendre les commandes. Des fois,
Patrick, il est un peu cavalier.
Comme
le lui a expliqué Aude, ma cousine qui collabore avec Rossel à
La Voix du Nord
(mais loge à Vintimille), moi, je suis pas farouche. Pour peu
qu’il paye l’essence et les réparations, je suis prêt à
lui laisser le volant et les clés. En prime ?
Je lui fais le ménage. Comme à la Comareg, l’éditeur
de Paru-vendu,
un gratuit d’annonces dans lequel « nous
avons introduit du rédactionnel tourné vers les
loisirs, les bonnes adresses, les bons plans ». (5)
Les bons plans, facile à dire. Avec internet, la vache à
lait s’est transformée en vieille carne. Alors j’ai
liquidé. 1650 salariés sur le carreau :
le plus gros plan social dans la presse depuis des années !
De quoi donner le « la »
juste avant la disparition de France
Soir et de
La Tribune.
Et,
après les télés locales, la presse aussi, je
brade. Pourtant, en 2007, juste avant la crise, c’est au prix fort
que j’avais acheté les « journaux
du sud ».
Comme je l’ai toujours dit :
« La
presse écrite a un bel avenir, pour peu que l’on prenne
les bonnes orientations » (6).
Sauf que les bonnes orientations, dans une presse pourtant bleu
marine, les « rouges »,
ils n’y comprennent rien.
Par
exemple, à Nice-Matin,
les soviets - pardon,
les salariés de la coopérative -
n’ont pas compris que c’était pour leur bien que je voulais
vendre le siège social. A quoi ça sert des locaux ?
Aujourd’hui, il suffit d’une connexion internet !
Même à La
Provence,
ils n’ont pas digéré qu’un directeur puisse être
en même temps patron de la rédaction. Ils appellent ça
la dé-on-to-lo-gie. Avec Hurbain, ils vont comprendre leur
douleur.
Ses
équipes ont commencé à faire le tour des
journaux. Des « rencontres
informelles »,
comme on dit. C’est vrai qu’on n’y met pas vraiment les formes. A
Nice-Matin,
il devrait y avoir 200 suppressions de postes. En misant sur un
chiffre d’affaires stable, Rossel veut une rentabilité à
deux chiffres et un rééquilibrage entre le print et le
web. Ce sera plus dur que d’avoir l’appui du gouvernement dans ce
deal. Pour ça, il aura suffi de promettre de faire, comme
d’hab’, la campagne de Sarkozy (8).
En échange, les banques ont « oublié »
la moitié de mes créances. Vu leurs intérêts
dans la presse, il aura suffi de leur conseiller de regarder ce qui
se passait en Grèce en cas de défaut de paiement...
Mais quand Rossel est prêt à prendre plusieurs dizaines
de millions d’euros de dettes à son compte, ce n’est pas pour
jouer les philanthropes.
A
charge pour moi de faire un peu de ménage. Paris-Normandie,
Hurbain n’en voulait pas. Vu les pertes, je peux le comprendre. Et
puis les salariés ont été jusqu’à
manifester dans l’un de mes golfs !
On a donc déposé le bilan et, comme l’a dit mon bras
droit, Dominique Bernard, « si
nous avons lancé une restructuration, c’était
essentiellement dans le but de susciter des offres de reprise » (9).
C’est lui d’ailleurs que j’ai nommé à la tête du
pôle Champagne Ardennes Picardie pour restructurer L’Union de
Reims, le seul titre qui intéresse vraiment Rossel.
Et
moi, dans l’histoire ?
Même si tout le monde sait qui portera la culotte,
officiellement, avec Rossel, on est à 50/50. Mais, depuis
2001, avec mes sous, j’ai monté ma petite entreprise. Editions
Suisse Holdings.
Du côté du lac Léman. Du bon côté,
bien sûr... Quelques journaux, des imprimeries, une télé,
un site internet, trois fois rien... Mais là, c’est mon
argent. Directement. Pas comme dans cette holding qu’est le Groupe
Hersant Medias. Alors motus et bouche cousue. Pour vivre heureux,
vivons cachés. Et pour ça, la Suisse, c’est l’idéal.
Je l’ai compris très tôt. « Je
m’y suis rendu régulièrement en famille, aux
vacances de Noël et de Pâques, jusqu’à l’âge
de 12-13 ans. Et je suis résident suisse depuis 2003 » (5).
Alors, même si j’apprécie les aides à la presse
française, je préfère le climat helvétique,
ce mélange de secret bancaire et de discrétion dès
qu’il s’agit des affaires. Pour peu que vous ayez des billets, on ne
vous demande jamais vos papiers. Pour moi qui déteste le
papier, ça compte. Et puis, c’est un pays neutre, la Suisse.
J’aime les pays neutres. J’aime la presse neutre. Comme l’autre, là.
Le socialiste...
Sébastien
Boistel
(1) Cet article est un portrait satirique. Mais vous l’aviez compris !
(2) D’après sa fiche Wikipedia
(3) Marsactu, 22 mars 2012
(4) Expression provençale bien connue
(5) L’Hebdo, 2 juin 2005
(6) L’Express, 1er décembre 2010
(7) Obélix in Astérix et Cléopâtre, 19 décembre 1968
(8) Le Canard Enchaîné, 16 novembre 2011
(9) Les Echos, 13 avril 2012
@-Leravi - http://www.leravi.org
(2) D’après sa fiche Wikipedia
(3) Marsactu, 22 mars 2012
(4) Expression provençale bien connue
(5) L’Hebdo, 2 juin 2005
(6) L’Express, 1er décembre 2010
(7) Obélix in Astérix et Cléopâtre, 19 décembre 1968
(8) Le Canard Enchaîné, 16 novembre 2011
(9) Les Echos, 13 avril 2012
@-Leravi - http://www.leravi.org