Présidé par Philippe Hersant, troisième fils du « papivore » Robert
Hersant, le groupe de presse quotidienne régionale se posait fin 2007
comme l'un des leaders du secteur. Il est engagé depuis 2008 dans une
longue descente aux enfers.
C'est un homme grave qui reçoit dans ses bureaux
de la rue de Presbourg, à Paris, au lendemain de la rupture des
fiançailles entre le belge Rossel et le groupe familial qui porte son
nom, Hersant Média. Une rupture lourde de sens et de conséquences, car
le groupe de presse quotidienne régionale que préside Philippe Hersant
se retrouve brutalement seul, empêtré dans ses difficultés, faute d'un
allié pour l'aider à redresser des journaux devenus structurellement
déficitaires.
« Paris Normandie » a été
placé en redressement judiciaire en février et ses 365 salariés
attendent de savoir si l'unique offre de reprise déposée la semaine
dernière sera acceptée par le tribunal de commerce. « L'Union » de Reims
et les autres journaux du pôle Champagne Ardennes Picardie sont eux
aussi menacés, à très court terme, de dépôt de bilan. « La Dépêche de
Tahiti » vient d'être vendue à des hommes d'affaires locaux et « Les
Nouvelles calédoniennes » sont en cours de cession. Restent les journaux
du sud de la France (« Nice-Matin », « La Provence ») et les quotidiens
antillais, dont la rentabilité est encore satisfaisante mais ne cesse
de décliner. Elle ne suffira pas, en tout cas, ni à financer les
restructurations nécessaires ni à rembourser la lourde dette bancaire du
groupe. Les 4.200 salariés ont de quoi être inquiets. La filiale de
presse gratuite d'annonces Comareg, qui employait 3.000 personnes il y a
trois ans, a tout bonnement été liquidée en novembre dernier.
Remportant au passage le triste record du plus grand plan social de
l'année.
L'atmosphère est étouffante en
cette chaude matinée de juin. Philippe Hersant s'exprime avec humilité.
Il ne cherche pas à se défausser de sa responsabilité. « J'ai approuvé, comme les autres actionnaires familiaux, toutes les décisions qui ont été prises »,
lâche-t-il. Il donne pourtant le sentiment d'une immense impuissance.
Comment aurait-il pu deviner qu'un retournement aussi brutal du marché
publicitaire allait provoquer, en moins de trois ans, la perte de plus
de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires, soit 30 % de moins qu'en
2007 ? Comment aurait-il pu moderniser sa presse quotidienne régionale
(PQR) sans consentir de lourds sacrifices humains -et risquer de graves
conflits sociaux, compte tenu du poids de la CGT dans ses entreprises ?
« L'échec du groupe Hersant est lié à deux péchés originels :
s'être construit par endettement, sans capitaux propres. Trop risqué
dans ce secteur. Et n'avoir pas réussi à adapter ses journaux à l'ère
moderne », analyse ainsi un spécialiste du secteur.
Le pari des gratuits
L'horizon
paraît pourtant dégagé lorsque Philippe Hersant signe les deux actes
fondateurs du Groupe Hersant Média (GHM) d'aujourd'hui : l'acquisition
de Comareg en 2003, puis celle des journaux du sud de la France en 2007.
Le troisième fils de Robert Hersant est aux manettes de France-Antilles
depuis 1982 (le groupe sera rebaptisé Hersant Média en 2006). Son
« papivore » de père vient alors de scinder son empire au terme d'une
donation-partage, pour échapper à la loi anticoncentration sur la presse
concoctée par les socialistes fraîchement arrivés au pouvoir : d'un
côté, France-Antilles ; de l'autre, la Socpresse (« Le Progrès », « Le
Dauphiné libéré », « Le Figaro », « France Soir » et quelques autres).
Dirigée par Yves de Chaisemartin lors de la disparition de Robert
Hersant, en 1996, la Socpresse sera vendue à Dassault quelques années
plus tard, entre 2003 et 2004. Les 13 héritiers de Robert Hersant se
partageront une somme alors estimée à plus de 1 milliard d'euros (un
montant que Philippe Hersant dément aujourd'hui).
Homme
de presse depuis toujours, Philippe Hersant est animé d'une véritable
vision lorsqu'il reprend Comareg. La presse gratuite d'annonces, il y
croit dur comme fer. Et n'hésite pas à endetter le groupe pour acheter
la société, au prix de 135 millions. « J'ai voulu cette opération. Les gratuits avaient un vrai potentiel auprès des annonceurs locaux »,
confirme-t-il. De même, l'acquisition des journaux du sud de la France à
Lagardère en 2007, pour 160 millions d'euros, lui apparaît comme une
magnifique opération stratégique, conforme au prix du marché. « Il
n'est aucun secteur économique comportant une composante industrielle
qui puisse survivre sans consolidation et mutualisation de ses moyens », insiste-t-il, se défendant de toute mégalomanie. « Tout le monde nous disait alors que le groupe était trop petit. »
L'opération porte la dette bancaire de GHM à plus de 200 millions
d'euros, y compris les besoins de financement et la dette résiduelle sur
Comareg. Les actionnaires familiaux y croient aussi : ils apportent
80 millions, sous forme d'obligations. Une dette obligataire alourdie
depuis des intérêts capitalisés et non perçus, à 105 millions d'euros.
Fin
2007, le ciel est encore bleu azur. Les deux opérations ont permis à
GHM de tripler son chiffre d'affaires, à 926 millions d'euros. Comareg,
déficitaire au moment de l'acquisition, a été redressé. C'est devenu une
fantastique machine à cash et sa contribution au résultat
d'exploitation du groupe, 35 millions d'euros sur 64, permet d'envisager
le remboursement de la dette avec sérénité. GHM publie 27 quotidiens
régionaux aux quatre coins de la France et en outre-mer, et emploie
7.500 salariés. « GHM détient alors aussi 27 % de "L'Est
républicain". La perspective de le voir devenir un groupe structurant de
la PQR en France n'est pas très éloignée. Philippe Hersant pensait
avoir du temps devant lui », rappelle un observateur. Le site
Internet du groupe est d'ailleurs figé sur ce tableau idyllique. Comme
une photo jaunie que l'on conserve pour se rappeler des jours heureux.
L'horizon
ne restera pas dégagé très longtemps. Le marché publicitaire s'effondre
littéralement à l'été 2008 et frappe de plein fouet la presse gratuite
d'annonces. Comareg ne s'en remettra pas. Concurrencée sur les petites
annonces par les « pure players » d'Internet comme Le Bon Coin ou
SeLoger, privée de ses recettes de publicité commerciale, la société
voit son chiffre d'affaires fondre comme neige au soleil : 388 millions
en 2007, 240 millions en 2010. Précipitant GHM dans des pertes nettes
abyssales : 82 millions en 2009, 217 millions en 2010. GHM sera
incapable de rembourser la première échéance de sa dette bancaire. Le
produit des cessions d'actifs réalisées à cette époque sera englouti
dans l'exploitation : 22 millions tirés de la vente du « Journal de la
Réunion » en avril 2009, 23 millions de celle de Mediapost en mai 2010
ou encore 22 millions pour la participation dans « L'Est républicain »,
cédée en octobre 2010.
Une réorganisation insuffisante
GHM
aurait-il pu anticiper et, en investissant davantage sur le numérique,
mieux conduire la mutation des petites annonces sur Internet ? « On
nous a reproché d'avoir retardé le passage à la gratuité des petites
annonces. Mais elles représentaient encore 60 millions d'euros de
chiffre d'affaires en 2009 : il était impossible alors de décider de se
couper un bras. D'autant que cette évolution aurait aussi conduit à de
lourdes réorganisations », explique Philippe Hersant. Sans doute le
groupe a-t-il commis des erreurs. Mais c'est un fait : le numérique est
loin de rapporter autant que le papier, sur les petites annonces comme
d'ailleurs sur l'information. Le leader des annonces en France, Le Bon
Coin, n'a réalisé « que » 64 millions d'euros de chiffre d'affaires l'an
dernier. Bien loin des recettes de Comareg au temps de sa gloire.
De même Philippe Hersant se défend de tout immobilisme sur la presse. « Nous
avons investi 49 millions dans le numérique entre 2007 et 2011, par
exemple dans une plate-forme commune utilisée par nos titres pour leurs
sites Internet. Nous avons aussi engagé des plans de modernisation, mais
uniquement par des préretraites. Nous n'avons jamais pu, en raison de
l'opposition de la Filpac-CGT, aller au delà, même depuis 2008 pour
faire face à la crise», dit-il. GHM a effectivement investi dans
les imprimeries de « Nice-Matin » ou de « L'Union », moyennant
140 suppressions de postes dans chacun des deux pôles. Mais la
modification des organisations n'a pas forcément suivi. Et la charge de
travail n'a pas toujours été bien anticipée. A Reims, par exemple,
22 millions d'euros ont été dépensés pour moderniser l'imprimerie et lui
permettre de prendre en charge les gratuits de Comareg : elle se trouve
aujourd'hui en forte surcapacité...
Pour
autant, Philippe Hersant ne peut pas se défausser entièrement sur la
fatalité. Beaucoup lui reprochent aujourd'hui la distance prise avec les
affaires de GHM ces dernières années. En 2003, le fils du « papivore »
s'est installé en Suisse, sur les bords du lac Léman. Il a d'ailleurs
bâti de l'autre côté des Alpes un autre groupe de presse depuis 2001 :
« La Côte », « L'Impartial », « Le Nouvelliste » regroupés au sein des
Editions Suisse Holding. Gérés d'une main de maître par son fidèle
lieutenant Jacques Richard, ils représentent une soixantaine de millions
d'euros de chiffre d'affaires et affichent une rentabilité bien
supérieure à celle de la presse française. Dans l'Hexagone, il a confié
en 2003 les rênes de GHM à un directoire, présidé par Frédéric Aurand,
secondé par Jacques Bolelli aux finances. Les salariés le voient peu.
Diversifications hasardeuses
A-t-il
laissé trop de liberté à ce directoire, entérinant des décisions sans
bien mesurer leurs conséquences ? De fait, GHM s'est aussi engagé
pendant cette période dans des diversifications hasardeuses comme la
télévision locale, qui aura coûté au groupe, reconnaît-il, plus de
40 millions d'euros entre 2005 et 2009. A-t-il au contraire
systématiquement refusé des propositions d'investissement, d'ouverture
du capital, de restructuration de Comareg, comme l'affirment des proches
des anciens dirigeants ? Les dissensions avec ces derniers se soldent
en tout cas brutalement par leur départ en août 2009 et leur
remplacement, au printemps 2010, par Dominique Bernard à la direction
générale de GHM.
La crise avait alors
frappé. Dès lors, l'énergie des dirigeants a été consacrée à négocier
avec les banques, à tenter de relancer Comareg, à chercher des
partenaires. L'accord passé avec Rossel en octobre 2011, qui prévoyait
d'apporter des titres des deux groupes à une société commune, devait
permettre de retrouver l'équilibre grâce à des restructurations et la
mutualisation de certains moyens. Le refus par la CGT d'accepter le plan
de restructuration proposé à « L'Union », préalable à l'accord, a
provoqué le retrait du groupe belge. La nouvelle ère qui s'ouvre pour
GHM ne sera sans doute pas la plus drôle.
ANNE FEITZ, Les Echos
Une perte nette de 217 millions en 2010
• 2008
Chiffre d'affaires : 900 millions d'euros
Résultat d'exploitation : 50,4 millions d'euros
Résultat net : 1,1 million d'euros
Chiffre d'affaires : 900 millions d'euros
Résultat d'exploitation : 50,4 millions d'euros
Résultat net : 1,1 million d'euros
• 2009
Chiffre d'affaires : 749 millions d'euros
Résultat d'exploitation : 1,4 million d'euros
Résultat net : - 82 millions d'euros
• 2010
Chiffre d'affaires : 697 millions d'euros
Résultat d'exploitation : 17,6 millions d'euros
Résultat net : - 217 millions d'euros
Chiffre d'affaires : 749 millions d'euros
Résultat d'exploitation : 1,4 million d'euros
Résultat net : - 82 millions d'euros
• 2010
Chiffre d'affaires : 697 millions d'euros
Résultat d'exploitation : 17,6 millions d'euros
Résultat net : - 217 millions d'euros
Écrit par Anne FEITZ
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