vendredi 13 juillet 2012

Vendredi 13 Juillet 2012 - LE NOUVEL ECOMISTE.FR - Robert Hersant vous salue bien


Robert Hersant vous salue bien
Le groupe Hersant sent le sapin.
Oui, mais s’agit-il du sapin dont on fait les cercueils
ou de celui dont on bâti les chalets ?


Robert Hersant 


                                                                    Robert Hersant

Toute la grande presse en habit noir publie ces jours-ci son avis de décès, racontant comment de Robert en Philippe, l’empire du “Papivore” (son surnom officiel) est devenu celui d’un omnivore qui pâture en Suisse. “Succession mal ordonnée” (Le Monde), “L’héritier Hersant n’a pas réussi à se faire un prénom” (Marianne), “La chute de la maison Hersant” (Les Echos), etc. On se croirait dans un film de Philippe Labro. Hersant et la France, c’est une histoire de haine. Robert Hersant a été haï autant qu’il méprisait. Mais qu’on se rassure, Philippe Hersant, à qui la presse reproche de n’avoir pas réussi à se faire un prénom, est en passe d’y remédier.
Depuis des années, la photo de sa propriété apparaissait l’été entre celles d’autres exilés fiscaux connus dans les magazines. L’été, la presse adore faire rêver les pauvres. L’évasion fiscale vue du ciel, en quelque sorte. Montrer leurs chalets évite de traiter le sujet (lire pages suivantes). Pendant dix ans, jamais la presse, et encore moins la gauche, n’ont relevé l’incongruité, pas même l’an dernier lorsque Hersant a liquidé la Comareg – ancien numéro un de la presse gratuite tué net par Internet – en licenciant près de 3 000 salariés. A quelques mois près, ce plan social, qui fut l’un des plus importants de l’année, a échappé à Montebourg. Mais l’histoire repasse toujours les plats.
2012, c’est l’été des plans sociaux et des exilés fiscaux. Exactement comme en 81. Le retour d’Hersant dans l’actualité est donc cruellement symbolique. Un symbole déplaisant, mais en est-il d’autres désormais ? Comme en 81, des tas de gens s’activent à leur exil fiscal, à ceci près qu’ils disposent maintenant de banquiers conseils, d’avocats et d’experts-comptables qui se font une spécialité et un plaisir de raccompagner l’élite sociale aux frontières.
En 81, ils avaient peur des rouges, le mot nationalisation les réveillait la nuit, leur or n’était plus à l’abri. En 2012, ils ont juste peur que les roses les piquent. Mais comme en 81, il y a un dossier Hersant marqué chaud et posé sur des bureaux à l’Elysée, avec copies à Bercy et rue de Valois. Problème, le dossier Hersant est sur la même pile que celui de Presstalis, autre résidu du passé, connu alors sous le nom de NMPP. Un autre scandale, celui de la distribution de la presse, mais celui-là n’éclatera pas. La presse et le gouvernement ont un commun intérêt dans cette affaire. La presse a besoin que le gouvernement réinjecte un milliard (à fonds perdus, tout le monde l’admettra, mais dans trois ans) et le gouvernement, que la presse ne l’assassine pas trop vite. Une sorte de chantage endogamique qui, en son temps, a fait la fortune d’Hersant.
On a changé d’époque, on a changé de François, on a changé d’Hersant, mais le groupe Hersant n’est plus un épouvantail. D’abord parce qu’il a fondu depuis la mort de Robert, ensuite parce que le problème de la presse n’est plus sa concentration mais sa survie, et enfin parce qu’à chaque période ses épouvantails à pigeons et que ce mot, Hersant, n’évoque plus qu’un fantôme. En 81, le dossier Hersant était politique parce que cette entreprise avait trop de pouvoir. En 2012, le dossier Hersant est politique parce que c’est celui d’un exilé fiscal qui laisse en France dettes et licenciements pour sauver les restes d’un empire familial.
En 81, Robert Hersant était l’épouvantail numéro un de la gauche. Il avait bâti par endettement bancaire un groupe de quotidiens qui a couvert jusqu’à 60 % du territoire, colonies incluses. Hersant, c’était Murdoch qui aurait collaboré avec les Allemands. D’ailleurs, il a collaboré avec les Allemands. Pendant la guerre, c’était un jeune Rastignac antisémite comme il en pullulait à Paris. Après la guerre, il s’est fait tout petit pendant dix ans avant de se lancer. Un magazine, puis deux, puis trois ; puis un premier quotidien, puis deux, puis trois. Il a même été député pendant des siècles, de ceux qui siègent peu. C’est là qu’il a croisé Mitterrand avec qui un étrange rapport de neutralité existait.
Le seul scoop journalistique qu’on doive à l’armada de journaux du groupe Hersant en cinquante ans est arrivé le premier jour, lorsqu’il a publié les photos de la future DS dans l’Auto Journal. L’objet symbolique de la France de l’après-guerre lui a permis de se lancer. Chez Hersant, le journalisme n’a jamais été que du gris à mettre autour des photos. Hersant méprisait profondément tout le monde et en particulier les journalistes, à part FOG peut-être, qu’il avait arraché à la gauche. Son deuxième coup malin fut d’imaginer agrémenter l’ennuyeux Figaro d’un magazine en quadri pour piquer des pages de pub aux trois news. Il a bien failli y passer lorsque, voulant faire de la télévision, il a racheté la 5 à Berlusconi ; mais il est parvenu à la revendre in extremis à Jean-Luc Lagardère qui, lui aussi, a d’ailleurs failli y passer.
La gauche n’a jamais pu faire tomber Hersant. Elle a voté une loi anticoncentration rien que pour le faire maigrir, mais elle n’a jamais été appliquée. Chirac est arrivé et entre eux, c’était simple. Au pic de sa splendeur, l’organigramme du Figaro rassemblait plus de députés qu’il n’en faut pour constituer un groupe parlementaire. Les banques non plus ne l’ont jamais fait chuter. Il les tenait par son endettement. Sa faillite était inenvisageable, alors il obtenait toujours plus, pour racheter des quotidiens ou pour rembourser les échéances délicates. Parfois, il faisait visiter sa dernière imprimerie à un Arnault ou à un Bolloré pour faire croire aux banques qu’il allait vendre.
Après la mort de Robert Hersant, en 96, quelques mois après Mitterrand, d’autres méchants sont venus nourrir les rengaines anti- tycoons. Jean-Marie Messier, Arnaud Lagardère, Serge Dassault… Le groupe Hersant s’était fait oublier. Il ne possèdait plus que quelques quotidiens de province et des gratuits de petites annonces que personne ne lisait à Paris. Les barons qui entouraient Robert Hersant s’étaient égayés et la famille s’est fiscalement exilée avec le fruit de la vente de ses bijoux (la Socpresse, c’est-à-dire le Figaro, le Progrès, le Dauphiné Libéré principalement). 1 milliard, dit-on, partagé en une poignée d’héritiers.
Il faut admettre que la suite n’a pas été glorieuse. Robert Hersant lui-même l’avait prédit. Voilà ce que le Nouvel Economiste lui avait soutiré en 1995 : “Quant à ma succession, s’il y en a une, les solutions se trouveront d’elles-mêmes. Je ne me sens pas responsable, au-delà de ma propre capacité à exercer mon autorité. (…) J’ai tout réussi dans ma vie, mais je n’ai pas été totalement victorieux dans ma famille.”
Philippe Hersant, qui n’était pas le fils prévu pour tenir la barre, n’a dans un premier temps pourtant pas mal manoeuvré mais la crise de 2008 a fait basculer tous les cadrans dans le rouge. Brutalement et définitivement, les journaux qui gagnaient de l’argent se sont mis à en perdre et ceux qui en perdaient se sont mis à en perdre davantage. Le reste n’est qu’enchaînement jusqu’à aujourd’hui. D’ici la fin de l’été, ses derniers quotidiens auront trouvé un repreneur, les banques auront vraisemblablement bradé le tout pour un tiers de leur dette, mais ce sera comme un solde de tout compte entre la France et Hersant.
Déjà, la grande braderie a commencé. Paris Normandie, un quotidien historique du groupe, sera même cédé pour l’euro symbolique à deux anciens barons du groupe qui pourtant se tiraient la bourre lorsqu’ils dirigeaient, l’un le Dauphiné Libéré, et l’autre le Progrès. Leur alliance est le signe que l’odeur de l’encre au petit matin leur manquait trop. On peut même s’offrir pour 100 millions les quotidiens de toute la Côte d’Azur, Nice Matin, Var Matin, la Provence et Corse Matin. Une affaire pour qui saurait y faire. Ce qui a fait chuter le groupe Hersant, c’est que son opération de la dernière chance a capoté. Depuis plusieurs mois, le groupe de presse belge Rossel avait prévu de fusionner avec Hersant, lui permettant de gagner du temps. Rossel a jeté l’éponge, vraisemblablement pour mieux revenir.
A moins qu’ils ne soient coiffés au poteau par celui qui a remplacé Hersant dans le rôle du méchant glouton. Le banquier Michel Lucas, qui s’est pris pour Citizen Kane et assouvit grâce aux poches profondes du Crédit Mutuel une tardive passion. Les quotidiens de l’est de la France et de Rhône-Alpes et rien ne semble vouloir l’arrêter. De plus, il est entré dans l’histoire de la presse comme celui qui le premier aura, par un bug informatique, donné accès aux informations sur les clients de sa banque aux journalistes de son groupe. Par souci d’économie, il avait en effet décidé de regrouper les services informatiques de ses banques et de ses journaux. C’est comme si Lagardère, les journalistes de Elle avaient eu accès aux plans de l’Airbus en allumant leur Facebook.
Du groupe bâti par Robert Hersant, il ne restera bientôt plus en France qu’un golf qui porte son nom et dont l’entretien était assuré par la trésorerie des journaux ; jusqu’à l’an dernier où les banques créancières ont osé réclamer que le groupe récupère les 14 millions prêtés au golf d’Ivry-la-Bataille en Normandie et dépensés pour son réaménagement. 14 millions pour tondre un golf et refaire son Club House, l’année de la liquidation de la Comareg…
Mais Philippe Hersant n’est pas le benêt qu’on dit. Il a reçu un héritage relativement incontrôlable et s’apprête à mener une vie plus adaptée à sa carrure. Il a tranquillement créé un nouveau groupe de journaux en Suisse, autour du Lac Léman. L’Impartial, le Nouvelliste, la Côte… Des titres follement ringards mais drôlement rentables, sans CGT ni Presstalis, et qui pèsent déjà pas loin de 80 millions d’euros de CA. A croire que la presse, c’est comme le ski : c’est en Suisse qu’il faut en faire.
Durant toutes les années 80, la gauche a régulièrement dénoncé la surpuissance de Robert Hersant ; trente ans plus tard, ce combat a été remplacé par les vociférations de Mélenchon contre les médias en général et les journalistes en particulier, si possible jeunes et sans défense. Gros succès. Dans la vraie vie, Mélenchon est ami avec Serge Dassault, propriétaire du Figaro (racheté à Hersant il y a dix ans) et on ne l’a jamais entendu hurler contre le scandale du coût du programme des avions Rafale.
On a fait d’Hersant un symbole alors qu’il n’était qu’un symptôme.
Par Pierre-Louis Rozynès

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